Mercredi, la grande confrontation...
Imad Lahoud : «Je l'ai fait à l'insistance de Jean-Louis Gergorin.»
Le général : «J'étais impressionné par la facilité avec laquelle il procédait. Des documents sortaient de l'imprimante, il m'a dit que je pouvais les emporter. C'était trop beau pour être vrai… Rien ne l'empêchait de sortir ces documents sans être connecté.»
Il est à présent question d'un CD-Rom remis par M. Lahoud au militaire. «Il m'a dit que c'était ses archives. J'ai gardé ce CD-Rom, mais je ne l'ai pas regardé», affirme celui-ci. C'est étonnant. Mais cet officier, dont tout le mode de vie semble codifié et compliqué à l'extrême quand il va acheter du pain, il doit parler d'«opération fournil» , prétend avoir placé le disque dans une enveloppe, qu'il scelle avec du ruban adhésif «en présence de [son] assistante» et «détruit» quand il quitte ses fonctions, en décembre 2005.
Il est vrai qu'on patauge dans la farce, ce que comprennent le bâtonnier Iweins, conseil de M. Gergorin, qui fait tourner M. Lahoud en bourrique, ou Me Brossolet, à la défense de Dominique de Villepin, qui ironise sur la naïveté confondante du général Rondot, béat devant l'imprimante miraculeuse qui crache des listings…
M. de Villepin, très ferme : «À aucun moment. J'ignorais le nom de M. Lahoud. J'ai appris ensuite qu'il avait été pris en flagrant délit d'escroquerie et de faux. Cette source, qui était celle du ministère de la Défense depuis le début 2003, n'était pas infiltrée en milieu hostile… La moindre des choses était de s'interroger : tout aurait dû s'arrêter là. Je ne suis pas intervenu, pas plus que je n'ai demandé pour M. Lahoud une quelconque immunité judiciaire, ce qu'a confirmé Dominique Perben [garde des Sceaux]. Jean-Louis Gergorin n'a jamais eu les moyens de me joindre directement ou indirectement.»
M. Gergorin : «Je conteste.»
La machine à confronter est déjà grippée. Chaque personnage surjoue sa partition : M. Lahoud en lapereau pris dans les phares d'une voiture, M. Gergorin en obsédé repenti du complot, M. de Villepin en M. de Villepin. Il n'y a pas d'audience jeudi : la vérité, ce sera peut-être pour lundi.
Faut-il vraiment s'étonner que, dans une affaire de manipulation des plus tordues, le procès tourne à la mystification ?
La confrontation générale de mercredi restera dans les annales. Non que la vérité en ait soudainement surgi. Mais parce que la puissance manœuvrière des uns et des autres est clairement apparue.
À ce jeu-là, Dominique de Villepin sort gagnant. La manière dont l'ancien premier ministre a contourné la ligne Rondot, sur laquelle il devait logiquement capituler, est étourdissante. Le général, on le sait, tenait des petits carnets dans lesquels il relatait la moindre de ses activités. Leur saisie tardive, totalement inopinée, a donné corps à la procédure.
1. Dès la réunion du 9 janvier 2004, le nom de Nicolas Sarkozy a été associé à un «compte couplé», et l'enquête demandée par M. de Villepin avait été commandée par le président de la République de l'époque, Jacques Chirac.
2. Le 25 mars 2004, M. de Villepin demande au général Rondot de faire sortir Imad Lahoud, le faussaire présumé de Clearstream, de la garde à vue qu'il subit dans une affaire d'escroquerie.
3. Le 19 juillet 2004, M. de Villepin met en garde le général, qui lui explique que tout est probablement bidon, en ces termes : «Si nous apparaissons, le PR [président de la République, NDLR] et moi, nous sautons.»
L'ancien premier ministre, dans un premier temps, conteste formellement ces indications. Selon lui, les notes Rondot sont tout sauf fiables, puisque reconstruites a posteriori sur la base d'autres écrits. Il les qualifie aimablement de «salmigondis», ses avocats, plus charitables, d'«impressionnistes» . Dans un deuxième temps, le général, piqué au vif, défend sa production à la barre : ce qu'il a écrit est authentique, et la chronologie, inattaquable.
Mercredi 7 octobre. Prétoire surchauffé.
L'officier semble pétrifié, comme si une division blindée venait de traverser sa chambre à coucher. Le président du tribunal, Dominique Pauthe, lui demande alors ce qu'il pense de la diatribe de l'ex-ministre et de son analyse de texte. C'est un moment capital. Car si le témoin, à cet instant, rétorque que le prévenu délire, tout bascule. Or il lâche, solennel : «Chaque fois que Dominique de Villepin prononce un discours, je ne peux m'empêcher de l'écouter avec attention et d'être - je ne le cache pas - un peu ému.» Bingo : on n'est plus au tribunal mais à l'ONU, le vieux soldat a la larme à l'œil, rompez les rangs.
Certes, quelques minutes plus tard, M. Rondot répétera pour la centième fois, preuve qu'il croyait dur comme fer qu'il était mandaté à distance, le 9 janvier 2004, par Jacques Chirac : «J'ai sollicité d'être reçu par le président de la République, je n'ai jamais eu de réponse. Mais on ne m'a pas dit : “Mon pauvre ami, vous n'avez rien compris…” » Il ajoute, résigné : «Mon souci était de défendre le président de la République et Dominique de Villepin.» Celui-ci ne rate pas le coche : «Et je vous en remercie, mon Général.»
Tout le procès Clearstream, du moins la stratégie de Dominique de Villepin, tient en ce retournement de situation culotté. Il est évident qu'il ne dit pas toute la vérité, pour employer une formule prudente. Mercredi, Me Thierry Herzog, conseil de Nicolas Sarkozy, a d'ailleurs, habilement, bétonné son argumentation accusatrice, adossé aux procès-verbaux sans équivoque de Jean-Louis Gergorin et aux agendas du général Rondot. Le ministère public ne manque pas non plus une occasion de contrer cet outrecuidant prévenu, dont les acrobaties intellectuelles le laissent sceptique. Mais dans un procès correctionnel, si les impressions comptent au moment où le tribunal rédige le jugement, celui-ci repose en priorité sur une réflexion juridique.
Dominique de Villepin est poursuivi pour complicité de dénonciation calomnieuse, complicité d'usage de faux, recel de vol et d'abus de confiance, le premier délit «tenant» en quelque sorte les deux autres.
En l'espèce, il est principalement reproché à l'ancien premier ministre «de s'être, courant 2004, rendu complice du délit de dénonciation calomnieuse commis par MM. Gergorin et Lahoud, en donnant pour instruction, courant avril 2004, à M. Gergorin d'entrer en relation avec le juge Renaud Van Ruymbeke», aux fins de lui adresser divers courriers de dénonciation, sachant que les faits imputés étaient faux.
La défense de M. de Villepin, qui veut limiter la prévention au mois d'avril 2004, consiste à affirmer que l'intéressé n'a jamais eu en main les listings trafiqués et qu'il n'a pas vu les courriers extraordinairement vindicatifs - et donc calomniateurs - qui les accompagnaient. Qu'il n'a jamais eu connaissance d'un CD-Rom qu'aurait déposé Jean-Louis Gergorin à son secrétariat, le seul CD-Rom retrouvé chez lui contenant, sous une forme cryptée, ses propres œuvres littéraires.
Dès lors, la question de sa bonne foi ne se pose pas - alors qu'elle constitue l'argument majeur de Jean-Louis Gergorin. Cependant, d'après les diverses dépositions, Dominique de Villepin n'a eu - pour ses interlocuteurs - de doutes sur la véracité de l'affaire Clearstream qu'en juillet 2004 et de certitudes qu'en octobre. En outre, si le tribunal considère qu'il a demandé à M. Gergorin de se rapprocher du juge Van Ruymbeke, cela ne signifie pas qu'il savait que les listings étaient faux.
Reste la question des mensonges potentiels du prévenu.
La difficulté du procès Clearstream, outre le fait que le dossier lui-même est d'une rare complexité, avec plusieurs protagonistes dont l'attitude ne relève pas toujours de la rationalité la plus pure, réside dans le double niveau de lecture qui s'impose.
Il y a l'audience, avec ses déclarations. Celles d'Imad Lahoud, fluctuantes, comme si l'agrégé de mathématiques cherchait en permanence à sentir d'où vient le vent pour proposer une version adaptée au climat du moment - au cas où il ne l'aurait pas remarqué, le climat ne lui est pas du tout favorable. Celles de Jean-Louis Gergorin, échevelées, qui laissent à penser que l'ex-haut dirigeant d'EADS croyait dur comme fer aux comptes secrets de Clearstream. Celles de Dominique de Villepin, tantôt minimalistes, tantôt fougueuses, toujours millimétrées.
Et puis il y a le dossier, la prévention qui tient le tribunal ou, plutôt, l'écrase. Quarante tomes bourrés de procès-verbaux et d'expertises, un puits noir d'encre au fond duquel les juges devront aller chercher la vérité. Sans que personne ne les y aide.
L'organisme financier luxembourgeois démontre le mécanisme de la calomnie
http://www.fergo.co/2009/10/dossier-clearstream-lorganisme.html
Général Rondot, Méthodologie au garde à vous!
http://www.fergo.co/2009/10/dossier-clearstream-le-general-rondot.html
Dominique de Villepin pour l'émergence de la vérité, l'ensemble des éléments relatifs à son audience, déclarations, chronologie, réactions...
http://www.fergo.co/2009/09/dossier-clearstreamdominique-de.html
Dominique de Villepin argumente son innocence
http://www.fergo.co/2009/09/dossier-clearstream-de-villepin.html
Albert FRERE "invité" dans l'affaire
http://www.fergo.co/2009/09/dossier-clearstream-albert-frere.html
Dominique de Villepin VS Sarkozy, le bal est ouvert...
http://www.fergo.co/2009/09/dossier-clearstream-sarkozyde.html
Dossier Clearstream "mise en état", récapitulatif des faits, origine de l'affaire
http://www.fergo.co/2009/09/dossier-clearstream-mise-en-etat-par.html
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