Pour Didier REMER, les peuples du monde Arabe sont dans une légitimité enfin retrouvée.
Lausanne le Lundi 28 Février 2011
Emanuel de Saint-Cyr: Tout d'abord, bonjour cher Didier, puisque nous sommes en Suisse et que le hasard veut que l'actualité laisse une large place au "Printemps du monde Arabe", nous allons nous intéresser à l' actualité avec le dossier sur les avoirs des dirigeants de tous les états qui sont actuellement en pleines révolutions, celles que portent des peuples à bout de bras. Depuis des semaines FINANCE OFFSHORE garde un oeil plus que bienveillant sur cette actualité qui n'est pas sans conséquences sur les rouages et pratiques liées à la finance offshore, comme les nombreuses sociétés qui gèrent les actifs que nous devons qualifier de douteux et donc logiquement, faisant l'objet d'une traque. Pensez vous que cette crise est l'occasion de faire un certain ménage?
Didier REMER: Tout en vous remerciant pour cet interview cher Emanuel, je pense que nous sommes trés en pointe sur le sujet sur FINANCE OFFSHORE, mais de là à tirer des conclusions purement et uniquement optimistes, je préfère faire force d'une certaine prudence. La première victoire revient à ses peuples qui se sont élevés face à des dirigeants qu'il nous faudra bien qualifier de dictateurs. Mais pour que les peuples puissent jouir de leur liberté enfin presque retrouvée, il faut que la communauté internationale accorde à ces derniers toutes les garanties de voir tous ceux qui le méritent condamnés pour leurs actes! Les délits financiers sont une composante qui bien souvent est la première résultante d'actions qui portent en plus des atteintes graves aux droits de l'homme de réels préjudices aux peuples. Donc il est clair qu'il faut faire un certain ménage!
EdSC: La Suisse est trés impliquée sur le blocage des avoirs douteux des différents dictateurs impliqués dans la révolution du printemps Arabe, peut-on parler d'exemplarité acquise à la cause des peuples en lutte pour retrouver leur liberté?
D.REMER: La Confédération Helvétique est dans une démarche ouverte, elle s'est directement impliquée dans le processus en n'hésitant pas à communiquer de façon trés lisible sur ses objectifs. Il faut dire que la place financière suisse est dans une nouvelle logique, rompre avec ses anciens démons!
Cette mesure de blocage des fonds comme celle du guide de la Libye fait l'objet d'une autre procédure du fait que le président Kadhafi n'est pas encore déchu au sens du droit international, cependant la forte présomption de culpabilité dans le cadre d'un futur procès ouvert par le T.P.I (Tribunal Pénal International) pour crimes contre l'humanité devrait permettre de protéger ses mesures conservatoires de bon sens prises par les autorités suisses et d 'autres états. Berne ayant déjà bloqué ces dernières semaines les avoirs du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et du président égyptien Hosni Moubarak, tous deux faisant l'objet d'ordonnances équivalentes du Conseil Fédéral Helvétique ou figurent les noms des personnes en relation supposée avec les dirigeants ou ex-dirigeants des états concernés.
Mais pour ce qui est de ceux qui condamnent la communication des listes des noms des personnes retenues sur les ordonnances du Conseil Fédéral je pense qu'il faut une vérité intégrale pour tous les peuples qui sont en lutte, c'est un message fort et courageux pour montrer que sur l'autre rive de la Méditerranée on soutient véritablement ses peuples. Ceux qui nous reprochent de donner en pâture les noms des ressortissants de ses listes ne doivent pas oublier que "les présumés innocents" sont en droit de faire valoir leur droit à la défense, et franchement si une personne listée est honnête, elle devrait pouvoir le démontrer sans difficulté. Le caractère médiatique de ce genre d'opération est avant tout un signal trés fort pour tous ceux qui seraient tentés de profiter de la situation pour pratiquer des opérations frauduleuses de grande ampleur, d'une certaine façon, les listes devront aussi protéger les intérêts de ceux qui seraient injustement listés.
EdSC: Vous pensez donc que des personnes listées le sont par erreur?
D.REMER: Oui, je pense même que c'est une option volontaire pour éviter toutes possibles opérations maladroites et donc frauduleuses entre des tiers paniqués à l'idée de devoir transférer des fonds aussi importants dans lune situation d'urgence. La confusion n'étant pas toujours bonne conseillère, sans compter ceux qui se font spécialistes des opérations dites transversales... C'est une stratégie qui doit garantir le maintien des avoirs par des mesures coercitives et assurer ainsi à chaque futur gouvernement démocratique la réelle capacité de réintégrer les fonds dans les banques centrales respectives.
EdSC: Dans le cas précis de l'ordonnance des avoirs de la Tunisie, des voix s'élèvent sur des noms jugés fantasques voir sans rapport avec l'ex président Ben Ali, quel crédit accorder à de telles listes?
D.REMER: Je puis vous assurer que ceux qui font un certain bruit sur certains noms sont à relativiser dans leur action. Il doit y avoir quelques personnes qui effectivement se retrouvent plus par proximité amicale que réelle immixtion dans les premiers cercles d'affaires. Cependant la prudence est de mise, la banque centrale suisse dispose d'informations plus précises, le tracing qui s'opère est plus proche du sérieux que du fantasque que certains listés souhaitent tenter vouloir nous le faire croire! C'est délicat, la notion de listes nous fait penser à d'autres listes en d'autres temps, mais gardons à l'esprit que nous ne parlons pas uniquement de personnes respectables, il y a dans les listes des personnalités qui feront l'objet de poursuites judiciaires dans leur pays d'origine et possiblement aussi devant le Tribunal Pénal International, ce n'est pas rien! Il faudra bien s'intéresser à la genèse toute particulière de certains pedigrees. De nombreuses organisations des droits de l'homme sont dans un travail exemplaire de rétablissement de la vérité et donc de la justice. Il faut s'attendre à voir des ordonnances coercitives du type de la Suisse en Autriche, au Luxembourg dans les prochains jours.
EdSC: Le ministère des affaires étrangères Libyen condamne les ordonnances du Conseil Fédéral Suisse relatives aux avoirs ainsi bloqués de Kadhafi et consorts, parlant d'une entreprise diffamatoire pour porter préjudice à la respectabilité du "frére" Kadhafi. Mettant en avant le différent suite au procès du fils Hannibal Kadhafi en 2008, est-il possible que la Suisse en profite pour régler certains comptes?
D.REMER: Oui et alors? La Suisse est un état souverain qui est capable de se doter d'une capacité de justice respectable. Si le ministre des affaires étrangères de Kadhafi regarde par la fenêtre de son bureau, il devrait plutôt voir des innocents morts sans raison autre que le fait d'avoir lutté pour tenter retrouver enfin la liberté. Ce ministre devrait passer plus de temps à convaincre Kadhafi de quitter le territoire Libyen pour s'assurer une "sortie" moins dramatique que celle qui s'annonce à mesure des évènements. Cette capacité de passer du temps sur le sort des ressortissants listés et donc des avoirs financiers libyens alors que la Libye compte des milliers de morts est la plus édifiante démonstration du point de non retour dans lequel s'est enferré toute la classe dirigeante de Kadhafi. Mais sur "quel nuage" toutes ces personnes vivent? Les avoirs financiers sont identifiés, il faut être vivant pour pouvoir "profiter" de toute cette fortune! Les fils de Kadhafi ne semblent pas le comprendre, c'est incroyable et déconcertant que ce décalage profond entre le "pouvoir" et la lutte de tout ce peuple qui elle, force le respect le plus profond.
EdSC: Les Etats-Unis annoncent avoir bloqué quelques 30 Milliards de Dollars du Fonds Libyen, la France est intervenue sur les avoirs présents sur son territoire, peut-on parler d'une réelle intégration des différents services secrets et du renseignement?
D.REMER: Le printemps Arabe est aussi, en plus d'une formidable occasion de voir des peuples s'émanciper avec la démocratie, un réel danger pour les équilibres géopolitiques et bien sur économiques de notre planète. Il est normal que pour les questions financières comme donc sur le besoin d'identifier les avoirs de ses ex-dirigeants ou futurs ex-dirigeants que les services secrets travaillent dans une relative concertation qui doit permettre de fixer les auteurs d'actes délictueux.
EdSC: D'une certaine façon, que pouvez vous conseiller à une personne listée?
D.REMER: D'abord garder en mémoire le besoin de garantir la présomption d'innocence des différentes personnes citées et leur assurer ce que le droit exige. Deux cas de figure, si la personne est malhonnête, de consulter un avocat pour identifier dans quelles mesures ses droits à la défense seront acquis dans le cadre d'une procédure qui pour ma part devra être prioritairement un acte de repentance et seulement. Loin de garantir une sortie honorable, cette logique permettra à la personne listée de montrer sa promptitude à tenir compte de la réalité qui s'opère dans son pays d'origine. Nouveau gouvernement dont l' institution judiciaire pourra tenir compte de cette acte qui bien que symbolique, pourra être interprété comme une prise de conscience et donc d'une considération et donc possible support aux objectifs de retour à la démocratie et donc à l'Etat de droit. Pour une personne honnête, il faut qu'elle se constitue avec un conseil pour démontrer le caractère intrusif de la décision qui serait de fait unilatérale et reposant sur des éléments de preuves logiquement facilement contestables. La notion de mesures coercitives est toute relative, en effet les personnes listés le sont avant tout par anticipation de décisions actées ou à venir du Conseil de Sécurité des Nations Unies, mesures coercitives, qui elles, seront d'autant plus précises et contraignantes pour les auteurs identifiés d'actes délictueux.
EdSC: Le Luxembourg se fait timide sur la question par rapport à la Suisse ou la France votre avis?
D.REMER: Je ne crois pas que cela puisse être objectivement le cas, le Luxembourg, membre de l'Union Européenne se doit d'appliquer les mesures conservatrices édictées par la présidence du Conseil et sa représentante des affaires étrangères madame Catherine Ashton qui s'est exprimée de façon trés clair sur le sujet des avoirs financiers et autres tout comme la capacité de voyager au sein de l'Union pour toutes personnes sous le coup de mesures coercitives. Le nombre de statuts diplomatiques de complaisance rend presque impossible cette décision.
Le Luxembourg est trés certainement dans un travail d'identification plus laborieux, mais que les inquiets se rassurent, le président de l'Eurogroupe et chef de l'Etat luxembourgeois, Jean-Claude Junker semble vouloir assurer ses homologues de sa bonne volonté sur cette question. Son ambassadeur Jean Hasselborn aura été trés clair à ce sujet. Pour le Luxembourg, c'est la nomenclature des Trusts et autres shell company (ndlr:sociétés écrans) qui pose un problème d'identification. Les Etats-Unis semblent disposer de moyens plus conséquents pour ce travail trés laborieux au royaume des pretes noms...
EdSC: Que faut-il souhaiter à tous ses peuples qui sont dans l'exercice de la recherche d'un nouveau modèle de démocratie?
D.REMER: D'abord leur dire que la communauté professionnelle financière internationale, dans sa plus grande majorité est bien aux cotés de celles et ceux qui souhaitent la démocratie. Je ne crois pas avoir vu un seul ami ne pas s'émouvoir du triste sort de ces peuples qui veulent se libérer de régimes autocrates qui se sont faits forts d'avoir volé, en plus d'actifs financiers ... autant de libertés pendant tant d'années! Mais il me faut les inviter à une trés grande vigilance pour que leur révolution ne leur soit pas à nouveau volée sur l'autel de certains intérêts particuliers. Notre petite rédaction compte beaucoup d'amis communs avec des personnes issues de ses différentes communautés, nous ne pouvons donc qu' imaginer que ses nombreuses luttes feront bien le véritable printemps du monde Arabe. Ce printemps qui montre ainsi que loin des extrémismes religieux, il y a bien une autre voie, celle de la liberté portée par le peuple, celui qui se refuse à toutes les récupérations idéologiques comme celles portées par le fanatisme.
Note importante de la rédaction du site FINANCE OFFSHORE sur la présomption d'innocence:
-La présomption d'innocence, telle qu'entendue actuellement dans la plupart des pays d'Europe, se fonde sur l'article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 de l'ONU qui la formule de la façon suivante :
« Article 11. Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis.>>
COMMUNIQUE DES NATIONS UNIES
2 mars 2011 – Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, va annoncer jeudi, conformément aux prescriptions du Statut de Rome, l'ouverture d'une enquête en Libye, a indiqué mercredi la CPI.
En vertu de la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité de l'ONU, la CPI est compétente pour examiner la situation en Libye depuis le 15 février 2011. Au vu des dispositions du Statut de Rome, le Procureur ouvrira une enquête s'il existe une base raisonnable permettant de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour ont été commis, précise la CPI dans un communiqué.
D'après l'examen préliminaire des informations portées à sa connaissance, le Procureur est parvenu à la conclusion que l'ouverture d'une enquête s'imposait.
Dans le cadre d'une conférence de presse qui se tiendra jeudi à La Haye, le Procureur donnera un aperçu des crimes allégués commis en Libye depuis le 15 février 2011 et communiquera les premières informations recueillies quant aux entités et aux personnes susceptibles de faire l'objet de poursuites, qu'il a du reste notifiées afin de prévenir la commission d'autres crimes.
Le Bureau du Procureur reste en contact avec l'ONU, l'Union africaine, la Ligue des États arabes, et plusieurs États. Il recueillera en outre des informations auprès d'autres sources, dont Interpol, qui lui prêteront leur concours. Le Procureur agira en toute indépendance et en toute impartialité, affirme la CPI.
Le Procureur présentera ensuite son dossier aux juges de la CPI à qui il reviendra de se prononcer sur la délivrance de mandats d'arrêt à partir des éléments de preuve rassemblés.
Interview réalisé à Lausanne par Emanuel de Saint-Cyr: Docteur es Sciences Économiques journaliste freelance pour Finance Offshore. Tous droits réservés pour tous pays.
Photographie: Tous droits réservés FINANCE OFFSHORE
© 2011 FINANCE OFFSHORE
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